Vivre ! (Au début du 20ème siècle en vers 1910)
Le Francis gagnait sa pitance comme arpète fromager dans la boutique à l'enseigne « Au bon clacos ». Jean avait été placé par sa dabesse comme «blaichard luchebem» à la boucherie « La tête de Lard ». Les deux commerces se faisaient face dans la rue Lepic, à l’angle du boulevard de Clichy dans le 18ème. Les deux moutards avaient une passion commune : la petite reine. S’ils ne participaient pas à une petite «compète» locale, ils passaient le dimanche à la Cipale au bois de Vincennes. Ce superbe anneau, construit en 1895. C’était là que le jour du Seigneur se carambolaient tous les coursiers de Paname et des environs, leur chapelle en quelque sorte. La bicyclette, ou plutôt le vélo comme ils disaient, était l’une de leurs distractions favorites. Au guidon de l’engin ils prenaient du plaisir, du vrai. On ne pouvait pas dire que ceux là « allaient à Dieppe sans voir la mer ». Ils ne pensaient même pas à courir la gueuse. Ils avaient pourtant de la gueule les gaziers, la classe. L’un était Parigot de souche, le titi. L’autre monté de ses Landes profondes sans ses échasses n’avait pas tardé à être affranchi par le premier. Je crois que la deuxième chose qui les branchait c’était de faire les quatre cents coups et rigoler comme des bossus, la vie quoi !
La mère Panturne l’avait mauvaise avec ce qui s’était passé la veille. Elle était bignole dans un immeuble rupin de la rue Lauriston dans le 16ème. Une honte, un scandale, elle grommelait dans sa barbe, elle allait faire du suif. Sa vergogne qui montait à tout berzingue fût stoppée comme par enchantement. Le goût délicat du morceau de barbaque qu’elle venait de se coller sous les ratiches lui bloqua les méninges. Un délice ce rôti de bœuf, tendre à avaler sa chique, à faire damner ses seins et tous ceux du paradis, le bon Dieu en culotte de velours. Elle dégustait, elle appréciait, elle savourait la rombière, black-out pour ses neurones, cours jus général dans les circuits. Les yeux fermés, elle faisait bosser ses papilles. Le nirvana, le pied. Dans un éclair de lucidité elle se souvint que le rosbif royal ne lui avait coûté que nib. C’en était trop, la quintessence du bonheur, à cet instant elle frisait l’orgasme. Le père Panturne était aux anges. Avec ce rôti la bignole l’avait oublié, ça lui faisait des vacances au Fulgence. Cinquante kilos tout mouillé ça ne pesait pas lourd devant l’ogresse au quintal et demi. Il savait qu’il aurait la paix jusqu’au fromgi. Le casu marzu de Sardaigne était un délice. Elle se pourlécherai, soignerai son cochon, surtout avec les asticots, ce frometon allait lui chanter aux oreilles, elle monterait sans doute au paradis.
Ils avaient commencé l’ascension depuis maintenant dix bonnes broquilles. Lourdement chargés et ils ne pouvaient se permettre la moindre boulette. Une petite gaffe et c’était le drame, ils allaient à dame. Le sommet n’était plus très loin. Il ne fallait pas caner. Ce n’était pas leur genre, ils les avaient en bronze. Surtout ne pas se faire remoucher, grimper tout en loucedé, profiter de chaque repli, se poser un instant sur un palier. Plus l’objectif était duraille à atteindre plus ils godillaient les moutards. La voie était large, ils gambergeaient maintenant à la descente qu’ils allaient s’offrir. Une «éclate» sur ce spot. Le matos commençait à leur scier le râble. Une dernière secousse, ça y est, ils y sont, gi !
Ils enfourchèrent leur vélo et sur le palier du sixième étage de l’immeuble ils se jetèrent un regard complice qui voulait en dire long. Leurs carreaux brillaient comme des diams, ils avaient la banane. Dans un barouf du tonnerre de Dieu, ils dévalaient les escaliers, secoués comme des pruniers. Leurs cris se confondaient avec leurs rires, ils braillaient tellement que l’on n’aurait pas entendu Dieu tonner. En déboulant comme des balles dans l’entrée du rez-de-chaussée ils aperçurent la bignole dans l’encadrement du porche, un balai à la main. La lourdière avait les yeux en bille de loto et en tomba assise. Les deux mômes n’entravèrent jamais comment ils passèrent le porche sans dégât. Quand le cerbère se releva ils étaient déjà loin et pédalaient de bon cœur dans la rue de la Pompe la bien nommée.
C’est alors que les deux arpètes commencèrent à gamberger. Deux clients ne seraient pas livrés ce matin. L’un allait attendre sa bidoche, l’autre son « Qui marche tout seul ». Ils avaient oublié leurs musettes dans l’entrée de l’immeuble.
Les garnements allaient ramasser la foudre, les darons les appelleraient Léon. Il n’y avait pas l’ombre d’un doute, et ce n’était pas un tuyau coudé, le dimanche suivant ce n’est pas à la Cipale qu’ils seraient, mais au turbin.
Après la guerre Francis sera champion de France en 1921, 1923 et 1924. Jean, quant à lui a eu moins de chance à Verdun. Plus tard, un peu plus tard il a quand même refait un peu de vélo. Surtout ce qu’il a fait de bien, c’est qu’en rentrant des camps allemands, il a épousé ma grand-mère. Et puis, longtemps, longtemps après il m’a raconté cette histoire.
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